L’eau tiède coulait lentement sur le corps immobile du jeune homme. Elle passait l’éponge avec des gestes mécaniques, essayant de ne pas penser à l’injustice de sa situation, quand ses doigts rencontrèrent des reliefs étranges sur son dos. Elle s’arrêta net. Au début, elle crut à des escarres ou à des cicatrices laissées par une ancienne opération. Elle se pencha davantage, observa de plus près… et sentit son estomac se nouer.
Son dos était couvert de cicatrices. Anciennes, profondes, irrégulières. Certaines semblaient déjà refermées, d’autres étaient rouges, enflammées, comme si elles avaient été infligées récemment. Ce n’étaient pas des traces de maladie. C’étaient des marques de violence.
Elle retint son souffle.
— Mon Dieu… — murmura-t-elle presque malgré elle.
Le jeune homme bougea légèrement les yeux. Il la regarda. Dans ce regard, il n’y avait pas seulement de la douleur, mais une peur profonde, une détresse silencieuse, une supplique muette. Il ne pouvait ni parler ni bouger. Mais ses yeux criaient.

Elle continua à le laver, mais ses mains tremblaient désormais. Chaque mouvement révélait de nouveaux bleus, des ecchymoses sur les hanches, des marques suspectes autour des poignets. Rien de tout cela ne ressemblait à des soins médicaux. Quelqu’un lui faisait du mal. Régulièrement.
Lorsque l’aide-soignant quitta la salle de bain, les laissant seuls quelques instants, l’infirmière se pencha vers lui.
— Est-ce que ça te fait mal ? — chuchota-t-elle.
Il cligna lentement des yeux une fois.
Elle se souvint soudain d’une formation suivie autrefois sur la communication avec les patients paralysés.
— Si quelqu’un te fait du mal… cligne des yeux trois fois.
Le silence s’installa. Puis un clignement. Un deuxième. Un troisième.
Elle sentit ses jambes faiblir.
À cet instant précis, elle comprit qu’il se passait quelque chose de grave dans cet hôpital. Et que ce jeune homme n’était pas seulement un patient. Il était une victime.
Après le bain, elle le ramena dans sa chambre. Mais elle ne parvint pas à partir comme si de rien n’était. Toute la nuit, les images de ses cicatrices et de son regard hanté la poursuivirent. Le lendemain matin, elle arriva plus tôt que prévu et consulta discrètement son dossier médical.
Ce qu’elle y découvrit la bouleversa encore davantage.
Selon les documents officiels, toutes les blessures étaient « antérieures à l’hospitalisation » et l’état du patient était décrit comme « stable, sans complications ». Aucune mention de lésions récentes. Aucun signe d’aggravation. Quelqu’un falsifiait la vérité.
Elle commença à observer attentivement. Très vite, des détails inquiétants apparurent : les mêmes membres du personnel entraient dans sa chambre pendant les gardes de nuit ; son état se détériorait systématiquement après certaines « procédures » ; et surtout, la panique dans ses yeux chaque fois qu’un médecin précis apparaissait dans le couloir.
Une nuit, elle entra de nouveau dans sa chambre, sous prétexte de vérifier sa tension. Il pleurait. En silence. Des larmes coulaient lentement le long de son visage immobile.
Elle prit sa main.
— Je vais t’aider. Je te le promets, — murmura-t-elle.
Elle savait qu’elle risquait tout. Pourtant, dès le lendemain, elle glissa un dictaphone dans la poche de sa blouse. Puis utilisa la caméra de son téléphone. Chaque geste pouvait lui coûter son emploi, voire bien plus. Mais se taire était devenu impossible.
En quelques jours, elle rassembla suffisamment de preuves.
Le scandale éclata brutalement. Inspections, enquêtes, interrogatoires. Plusieurs employés furent immédiatement suspendus, d’autres poursuivis en justice. On découvrit que, sous couvert de soins aux patients lourdement handicapés, des actes de maltraitance étaient commis depuis des années contre ceux qui ne pouvaient ni parler ni se défendre.
Le jeune homme fut transféré dans une autre clinique. Le jour de son départ, il la regarda longuement. Pour la première fois, une lueur différente apparut dans ses yeux. Un sourire à peine perceptible. Mais réel.
L’infirmière perdit son travail.
Elle ne le regretta jamais.
Car parfois, pour sauver une vie, il faut accepter de sacrifier la sienne telle qu’on la connaissait.
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