Tout le monde riait quand elle changeait les draps du millionnaire.


Tout le monde riait quand elle changeait les draps du millionnaire.
Une plaisanterie devenue légende dans les couloirs de la clinique : « Regardez-la, la petite infirmière du riche comateux ! »
Mais ce soir-là, le rire s’est éteint dans les gorges.

L’odeur d’antiseptique se mêlait à un silence si lourd qu’on pouvait presque l’entendre grincer.
Svetlana travaillait ici depuis à peine trois semaines, mais la routine glacée de l’aile des comateux s’était déjà incrustée sous sa peau. Les couloirs étaient d’une propreté irréelle ; les machines chantaient leur mélodie mécanique, et pourtant, quelque chose manquait : la vie.

Parmi tous les patients, un seul attirait son regard.
Viktor Ivanov.
Pas un simple malade, non.
Un homme dont le nom se murmurait dans les journaux, un milliardaire, un bienfaiteur… ou peut-être quelque chose de bien plus sombre.

Ce soir-là, alors qu’elle changeait ses draps, Svetlana remarqua une chose étrange : sur la cuisse de Viktor, des traces fines, parallèles, presque symétriques.
Pas de simples égratignures — des marques précises, presque écrites.
Et, surtout, du sang frais.

Elle sentit son cœur cogner contre ses côtes.
Personne n’était entré depuis des heures.
La caméra dans le coin brillait d’une lumière rouge… mais ne bougeait pas.
Était-elle éteinte ?

— Monsieur Ivanov… vous m’entendez ? murmura-t-elle.

Alors, ses doigts bougèrent.
Un mouvement lent, hésitant, mais volontaire.
Svetlana pensa d’abord à un spasme nerveux. Puis vit la régularité du geste : un trait, une pause, une autre marque.
Elle comprit.
Il écrivait.

Ses doigts traçaient sur le drap blanc une série de points et de lignes.
De l’alphabet Morse.
Svetlana saisit son téléphone et activa le dictaphone.

— Allez-y… encore une fois… doucement…

Point. Tiret. Point. Point. Pause. Tiret. Tiret.
Elle reconnut les lettres : K… U… R…
Puis encore : I… E… R.
« KURIER » — courier.

Le mot glaça son sang.
Un courier, ici ?
Mais que pouvait bien transporter un livreur dans une aile de soins intensifs ?

À ce moment, la porte grinça.
Un homme entra : Arkadi, l’aide-soignant. Grand, calme, un sourire mécanique.
Il déposa un papier sur la table sans un mot.
Svetlana y jeta un coup d’œil : une feuille imprimée, couverte de chiffres et de lettres — AL-23, NF-7, OM-12.
Des codes. Pas des analyses.

Quand elle releva la tête, Arkadi l’observait d’un regard vide.

— C’est pour la comptabilité, dit-il d’un ton neutre. Une simple formalité.

Il lui tendit un autre papier à signer.
En bas, un petit sceau en relief : la lettre Q dans un cercle.
« Q-Foundation » — la fondation caritative du milliardaire, soupçonnée jadis de manipuler des données génétiques.

Svetlana sentit ses jambes se dérober.
Les doigts de Viktor bougèrent à nouveau, frappant faiblement le drap :
· — · · / · — · · / · · — —
Elle traduisit : « Ne crois pas. Eau. Nuit. »
Puis une série de chiffres : 23:40.

Le message était clair.
Quelque chose se passerait à 23 h 40, près de l’eau.
Dans la clinique, il n’y avait qu’un endroit où l’eau coulait sans arrêt : la buanderie du sous-sol.

Svetlana y descendit plus tard, le cœur battant.
L’odeur du savon brûlait la gorge. Les machines tournaient, pleines de draps et de sacs gris étiquetés.
Sur un sac, elle reconnut la mention : “Coma – 3”. Et, en lettres pâles, une empreinte tissée : NF-7.

— Vous signez ? fit la voix d’Arkadi derrière elle.

Il se tenait dans l’ombre, toujours souriant.
Et sur sa main, Svetlana vit… les mêmes marques que sur la cuisse du milliardaire. Trois entailles croisées, anciennes, cicatrisées.
Des marques d’appartenance.

— Qui êtes-vous vraiment ? souffla-t-elle.

— Personne n’a besoin de savoir, répondit-il doucement. Les riches ne meurent jamais : ils changent seulement de corps.

Ses mots restèrent suspendus dans l’air comme des couteaux.

Svetlana comprit : les sacs de linge ne contenaient pas seulement des draps.
Ils contenaient des échantillons, des fragments, des vies volées.

Elle fit semblant de signer, puis s’éloigna.
Dans le couloir, l’horloge indiquait 23 h 39.
Une minute avant la vérité.

Elle remonta en courant à la chambre de Viktor.
Son cœur battait à tout rompre. Elle s’approcha, murmura :

— Si vous pouvez encore m’entendre, je reviendrai. Cette nuit, tout changera.

Ses doigts tremblants répondirent : ·· Oui.

Et quand la clinique sombra dans le silence de minuit, Svetlana se glissa de nouveau vers le sous-sol.
Là où le métal crissait, où la vapeur brûlait la peau, où le courier devait venir.
Mais cette fois, il n’emporterait pas des échantillons.
Il trouverait une femme vivante, prête à se battre.

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