
Il était là, posé au fond d’une vieille boîte en bois, entre une photographie noir et blanc à moitié effacée, quelques boutons de manchette égarés et une plume cassée. Un objet oublié, muet, mais pas inerte. Il attendait qu’on le redécouvre.
Quand je l’ai pris en main, j’ai senti son poids. Compact, froid, précis. Une forme ronde, en laiton terni par les années, avec une fine chaînette toujours attachée à un petit anneau. J’ai caressé la surface, cherché un mécanisme. Il y avait un bouton, discret, sur le côté. Je l’ai pressé. Un clic. Le couvercle s’est ouvert.
À l’intérieur, un cadran aux chiffres romains, deux aiguilles figées dans le silence. C’était une montre de poche.
Un objet, un geste, une époque
Il y a des objets qui traversent le temps en silence, témoins fidèles d’une époque révolue. La montre de poche est de ceux-là. Bien plus qu’un simple outil pour lire l’heure, elle était un rituel, un symbole.
Elle ne se portait pas au poignet, mais dans une poche, au bout d’une chaîne discrète. On la sortait d’un geste sûr, presque cérémonial. On ouvrait le couvercle d’un doigt, on jetait un œil rapide mais précis, et on la remettait à sa place. Ce n’était pas simplement « regarder l’heure », c’était accorder un moment au temps.
Les hommes qui la portaient affichaient un rapport différent au monde. Ils respectaient les horaires, bien sûr, mais aussi la ponctualité comme une forme de loyauté. Le temps avait un poids. Et cette montre, petite et silencieuse, le rappelait à chaque tic-tac.
Plus qu’un accessoire, un héritage
Elles étaient souvent gravées. Un nom, une date, une dédicace. « À mon fils, pour ses vingt ans. » « Toujours à l’heure, pour l’éternité. » Chaque montre racontait une histoire, souvent familiale. Elle passait de génération en génération. Parfois, elle avait traversé deux guerres, des voyages transatlantiques, des faillites et des renaissances.

Certaines dormaient dans un tiroir pendant des années, puis retrouvaient la lumière à l’occasion d’un héritage, d’une brocante ou d’un déménagement.
Et quand on les découvrait, on ne voyait pas d’abord l’heure. On voyait une époque. Une élégance. Une attention.
L’oubli progressif
Avec les montres connectées, les smartphones et les horloges digitales omniprésentes, la montre de poche a peu à peu disparu du quotidien. Elle a été reléguée au rang d’antiquité, de curiosité.
Et pourtant, il suffit d’en tenir une pour comprendre à quel point notre rapport au temps a changé. Aujourd’hui, nous voulons l’instantané. On ne regarde plus l’heure, on est constamment notifié de ce qu’on est censé faire.
La montre de poche, elle, exigeait l’inverse. Elle demandait un geste, une présence, une décision. Elle était humble, mais exigeante. Et c’est ce qui la rendait précieuse.
Le retour d’un battement
J’ai emmené cette montre chez un vieil horloger, dans une petite boutique au fond d’une ruelle. Il l’a prise entre ses doigts comme on prend un oiseau blessé.
« Une Suisse. Début XXe. Encore en bon état. »
Il a ouvert le dos, inspecté le mécanisme, soufflé sur la poussière, tendu l’oreille. Puis il a souri.
« Elle peut repartir. »
Une semaine plus tard, je suis revenu. Elle battait. Son tic-tac était discret, mais régulier. Comme un cœur qui revient à la vie.
Depuis ce jour, je la porte parfois. Pas pour lire l’heure. Pour me souvenir. Pour ralentir. Pour me reconnecter à ce que nous avons oublié.
Une autre relation au temps
Sortir une montre de poche, l’ouvrir, écouter son battement… c’est une manière de se rappeler que le temps n’est pas qu’un chiffre qui défile sur un écran. C’est une matière. Quelque chose de sensible. De vivant.
Ce n’est pas une notification. C’est une respiration.
Et dans un monde qui court, qui dévore chaque minute comme si elle était la dernière, tenir cette montre dans ma main me rappelle que parfois, il faut juste s’arrêter. Regarder. Écouter.
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