Dien trop mature pour son âge. Il ne pleurait plus. Il ne bougeait pas. Sa petite main serrait la mienne, et sa voix, presque inaudible, murmura :
« Maman, ne fais aucun bruit. Fais semblant d’être morte. Ils vont partir. Je t’expliquerai après. »
À cet instant précis, je compris que notre chute n’était pas un accident.
Au-dessus de nous, des pas. Des pierres roulèrent le long de la paroi. Quelqu’un observait le fond du ravin. Mon cœur battait si fort que j’avais peur qu’ils l’entendent. La douleur traversait mon corps comme une décharge électrique, mais je me forçai à rester immobile. Je fermai les yeux. Je cessai de respirer.
« Tu crois qu’ils ont survécu ? » demanda la voix tremblante de ma mère.
« Impossible, répondit mon père d’un ton froid. À cette hauteur, personne ne survit. S’ils étaient vivants, on les entendrait. »
Puis le silence. Un silence long, écrasant. Et enfin, les pas qui s’éloignaient.
Alors seulement, j’inspirai. Mon fils se rapprocha aussitôt de moi.
« Maman… tu es vivante ? »
« Oui… » murmurai-je. « Et toi ? »
« J’ai mal, mais ça va. On doit partir. Avant qu’ils ne reviennent. »
Nous n’étions pas tombés jusqu’au fond du ravin. Une corniche étroite, des buissons et des racines avaient freiné notre chute. Un hasard. Ou un miracle.

Je me redressai avec peine. Chaque mouvement était une torture, mais la peur dépassait la douleur. Nous avançâmes lentement le long de la paroi, parfois à quatre pattes. Mon fils m’aidait, me tendait la main, surveillait le moindre pas. Son calme me bouleversait.
Lorsque nous atteignîmes enfin un sentier forestier, mes forces m’abandonnèrent. Je m’effondrai et éclatai en sanglots.
« Maman… » dit-il doucement. « Je dois te dire quelque chose. »
Je le regardai.
« Qu’y a-t-il, mon cœur ? »
Il prit une profonde inspiration.
« Mamie et papi avaient tout prévu. »
Ces mots glacèrent mon sang.
Il m’expliqua comment, lors de ses nuits chez eux, il avait entendu des conversations qu’ils croyaient secrètes. Des reproches à mon égard. Des phrases cruelles : que j’avais « gâché ma vie », que l’enfant m’avait « rendue ingérable », que je refusais de leur céder la maison.
Et puis l’innommable.
« Ils disaient que si tu disparaissais, tout serait plus simple. Et que si moi aussi… plus rien ne te retiendrait ici. »
Je repensai à leur nervosité, à cet itinéraire isolé, à l’absence soudaine de ma sœur. Tout prenait sens.
Je serrai mon fils contre moi. Les personnes qui m’avaient donné la vie avaient tenté de nous l’enlever.
Des heures plus tard, un automobiliste nous trouva et appela les secours. À l’hôpital, je racontai tout. La police retrouva la voiture de mes parents près du ravin. Ils ne nous avaient pas cherchés. Ils étaient simplement partis.
Lors de leur arrestation, ma mère pleurait, répétant que « ce n’était pas censé se passer ainsi ». Mon père resta silencieux. Mais les preuves parlaient. Et surtout, la voix de mon fils.
Aujourd’hui, nous vivons ailleurs. Nous recommençons. Les nuits sont encore peuplées de cauchemars, et parfois mon fils me demande pourquoi ceux qui devraient aimer peuvent trahir avec tant de cruauté.
Je ne sais pas si je guérirai un jour complètement. Mais je sais une chose : ce jour-là, au bord du vide, ce n’est pas la chance qui m’a sauvée.
C’est un enfant de six ans, assez courageux pour murmurer les mots qui nous ont permis de survivre.
Et une vérité, aussi terrible soit-elle, qui nous a gardés en vie.
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