Lorsqu’il franchit enfin la porte de la prison au petit matin, le jeune homme resta immobile quelques secondes, aveuglé par la lumière et par le silence presque irréel de la rue endormie.


Dans sa main, un sac plastique contenant ses affaires et quelques papiers. Rien d’autre ne comptait. Dès qu’il le put, il appela un taxi et prononça l’unique adresse qu’il avait en tête : le cimetière où reposait sa fiancée.

Quand la voiture s’arrêta devant l’entrée, il resta longtemps immobile, comme figé. Il avait imaginé ce moment pendant cinq ans, mais n’avait jamais trouvé le courage de se le représenter réellement. On l’avait arrêté le jour même de l’enterrement. Il n’avait pas assisté à la cérémonie, n’avait pas vu la tombe, ni même le cercueil. Il n’avait pu que pleurer seul, enfermé dans une cellule.

Le cimetière était vaste, presque labyrinthique. Les allées se succédaient, les stèles formaient des rangées interminables. Il marcha longtemps, lisant chaque nom, chaque date, espérant reconnaître enfin celui qu’il cherchait. Mais il ne trouvait que des inconnus, des vies qui n’étaient pas liées à la sienne.

Finalement, il sortit de sa poche un petit papier froissé : l’emplacement du tombeau, indiqué d’une écriture rapide et mal assurée. Il suivit les indications. Une première fois. Puis une deuxième. Sans succès.

C’est alors qu’il aperçut le gardien du cimetière, un vieil homme au visage ridé, portant des bottes en caoutchouc.

— Excusez-moi… je cherche une tombe. Voici le nom… Vous pourriez m’aider ?

Sa voix tremblait.

Le gardien prit le papier, le regarda longuement, puis hocha la tête.

— Ah oui… Je me souviens. Une jeune femme, avec un prénom peu commun. Suivez-moi.

À sa grande surprise, l’homme l’emmena dans une section différente de celle indiquée sur le papier. Il s’arrêta devant une grande pierre noire, en forme de cœur.

— C’est ici, dit-il simplement.

Puis il s’éloigna, le laissant seul.

Le jeune homme avança lentement. La tombe était soignée, décorée de fleurs fraîches, de petits cadres, comme si quelqu’un venait régulièrement. Il posa un genou au sol pour déposer son bouquet, et c’est alors qu’il remarqua quelque chose d’étrange.

Sur la surface lisse du marbre, tout près de la photographie de sa fiancée, de fines lignes avaient été gravées. Pas profondément, mais assez pour qu’on les distingue si l’on se penchait.

Il approcha son visage, plissa les yeux.
Son sang se glaça.

Les lettres formaient un mot, gratté à même la pierre d’une main fébrile :

« ELLE VIT »

Il resta figé, incapable de bouger. Son esprit refusait de comprendre. Était-ce une blague macabre ? Une illusion ? Un reflet ?

Il passa les doigts sur les lettres. Elles étaient bien réelles. Nettes. Volontaires.

L’air autour de lui sembla soudain plus froid.

Elle était censée être morte. C’est ce qu’on lui avait dit. C’est ce qu’on lui avait répété. Un accident tragique, un corps mutilé, un enterrement immédiat. Il n’avait rien vu de ses propres yeux. On l’avait empêché de se recueillir. On lui avait expliqué que « c’était mieux ainsi ».

Mais alors… qui avait gravé ces deux mots ?

Il se pencha davantage et remarqua une deuxième inscription, située tout en bas de la stèle, presque effacée comme si quelqu’un avait tenté de la frotter.

« PARDON »

Un frisson parcourut sa colonne vertébrale.

Alors qu’il restait accroupi, sa main heurta quelque chose enfoui dans la terre. Il dégagea un petit objet : une chaînette métallique, usée, au bout de laquelle pendait un minuscule pendentif en forme de clé.

Une clé identique à celle qu’il lui avait offerte autrefois… sauf que celle-ci était d’un métal différent, terne, ancien. Il retourna le bijou. À l’arrière, des chiffres gravés.

Une date.
Récente.
À peine deux mois auparavant.

Il ferma les yeux de stupeur.
Comment était-ce possible ?
Elle était morte depuis cinq ans…

Les souvenirs de l’époque se bousculèrent : les interrogatoires interminables, les regards fuyants, les réponses vagues de la famille. Sa mère lui avait écrit qu’on ne lui avait pas permis de voir le corps : « On m’a dit que ce n’était pas possible », écrivait-elle.

Son cœur se serra.

Soudain, un bruit de pas résonna dans le gravier derrière lui.

Il se redressa brusquement.
Une silhouette venait de disparaître derrière un monument. Quelqu’un l’observait.

— Qui est là ?! cria-t-il.

Aucune réponse.

Mais quelque chose tomba alors près de lui, comme lancé rapidement : une enveloppe noire. Il la ramassa. Sur le devant, en lettres pâles, figurait son prénom.

Rien d’autre.

Il déchira le haut de l’enveloppe.
À l’intérieur, un seul morceau de papier, froissé, taché.

Le message disait :

« Si tu veux connaître la vérité, rends-toi au dernier endroit où vous étiez ensemble. Aujourd’hui. À 19h. Viens seul. »

Pas de signature.
Pas d’explication.

Il resta debout, les doigts serrés autour de la clé et du papier, tandis que le vent tourbillonnait autour de la tombe.

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