Les dîners du dimanche étaient pour moi un véritable rituel.
Chaque semaine, je rejoignais ma sœur Mia et son mari, Alex. L’ambiance était toujours chaleureuse, conviviale : le parfum du repas, les rires, la lumière douce des bougies… tout semblait parfait.
Mais ces derniers mois, quelque chose avait changé.
J’avais commencé à remarquer qu’Alex me regardait. Pas un simple regard distrait ou amical, mais un regard insistant, presque troublant. Il me fixait dès qu’il pensait que je ne le voyais pas. Et lorsque nos yeux se croisaient, il détournait aussitôt le sien, feignant l’innocence.
Au début, j’ai cru que j’exagérais. Que je devenais paranoïaque. Mais plus le temps passait, plus ce malaise grandissait en moi. Chaque dîner me semblait plus lourd, plus silencieux.

Un soir, après le repas, j’ai décidé d’en parler à Mia. Alex était sorti promener le chien. Mon cœur battait à tout rompre.
— Mia, je peux te dire quelque chose ? Promets-moi de ne pas te fâcher.
— Bien sûr, me répondit-elle en souriant. Qu’est-ce qu’il y a ?
— Ton mari… il me regarde tout le temps. D’une façon bizarre. J’ai honte de le dire, mais ça me met mal à l’aise.
Je m’attendais à ce qu’elle rie, à ce qu’elle dise que j’avais trop d’imagination. Mais non. Son sourire s’effaça aussitôt. Elle devint pâle, presque livide.
— Toi aussi, tu l’as remarqué ? murmura-t-elle.
Mon sang se glaça.
— Comment ça, “toi aussi” ?
Mia se leva, fit quelques pas nerveux dans la cuisine.
— Il est différent, ces derniers temps. Il rentre tard, cache son téléphone, change souvent ses mots de passe. Je pensais que c’était le stress du travail… jusqu’à ce que je trouve ça.
Elle sortit d’un tiroir une petite clé USB noire.
— Je ne voulais pas te montrer ça, continua-t-elle d’une voix tremblante. Mais maintenant, je crois que tu dois savoir.
Nous branchâmes la clé à son ordinateur. Plusieurs fichiers vidéo apparurent, datés mais sans noms. Elle lança le premier.
L’écran s’alluma — et j’y apparus.
Assise à leur table, en train de rire, de servir le vin, de passer une mèche de cheveux derrière mon oreille. Le point de vue de la caméra était étrange : bas, caché quelque part dans la pièce.
— C’est ici, chez vous, n’est-ce pas ? demandai-je, la voix étranglée.
Mia hocha la tête.
— Oui. Il a installé des caméras soi-disant pour la sécurité. Je l’ai cru… jusqu’à ce que je le surprenne à regarder ces vidéos, la nuit. Et tu étais presque toujours dessus.
Une vague glaciale m’envahit.
— Tu lui en as parlé ?
— Oui, mais il a nié. Il a dit que j’étais folle, jalouse, que j’inventais tout. Mais maintenant que tu le confirmes…
Elle n’eut pas le temps de finir.
La porte d’entrée claqua.
Alex venait de rentrer.
Ses pas résonnaient dans le couloir. L’air semblait se figer. Mia referma précipitamment l’ordinateur, mais déjà il apparaissait dans l’encadrement de la porte.
Son visage était fermé, son regard froid.
— Qu’est-ce que vous faites ? demanda-t-il calmement, mais sa voix vibrait d’une tension inquiétante.
Mia bredouilla une excuse. Il s’approcha d’elle, lui saisit le poignet.
— Je t’avais dit de ne rien lui dire.
Tout se passa très vite. Mia cria, la chaise tomba, je pris la clé USB et m’enfuis dans la rue sans même penser à mes chaussures.
Plus tard, au commissariat, j’ai montré les vidéos aux policiers. Ils restèrent silencieux, puis l’un d’eux déclara :
— Ce ne sont pas les seules. Il y en a des dizaines.
On découvrit qu’Alex filmait secrètement plusieurs femmes depuis des mois : moi, les amies de Mia, les voisines, même ses collègues. Les caméras étaient dissimulées un peu partout, sous prétexte de “sécurité domestique”.
Mia a demandé le divorce. Moi, je n’ai pas dormi pendant des semaines. Chaque regard d’homme me paraissait suspect, chaque bruit dans la nuit me faisait sursauter.
Le pire, ce n’était pas la trahison.
Le pire, c’était d’avoir vécu si longtemps à côté de quelqu’un capable d’une telle noirceur — sans jamais rien soupçonner.
Aujourd’hui, quand quelqu’un parle d’un dîner de famille, je souris faiblement.
Parce que je sais désormais que, derrière un repas parfait et des rires sincères, peut se cacher le visage d’un véritable monstre.
Отправить ответ