Le Chasseur et la Louve : Une Dette de la Forêt Rendue


En plein hiver, alors que la neige recouvrait le monde d’un manteau blanc et que les arbres se dressaient comme des sentinelles figées, un chasseur solitaire nommé Andrei marchait lentement à travers la forêt, ses pas lourds dans la poudreuse. Sa cabane, perdue au fond des bois au pied des monts Oural, était à des kilomètres du moindre village. Et cela lui convenait. Il avait quitté la ville des années plus tôt, troquant les rues bruyantes contre le silence et la vérité des arbres. Il n’avait jamais regretté son choix.

Un matin gris, en vérifiant ses pièges loin de chez lui, Andrei tomba sur une scène qui le figea. Sous une corniche rocheuse, à l’abri du vent, gisait une louve. Son pelage était terne, ses côtes saillaient sous sa peau tendue, et ses yeux couleur ambre étaient ternis par la douleur et l’épuisement. Instinctivement, Andrei leva son fusil. Mais il ne tira pas. Il y avait dans le regard de la louve une lueur étrange — ni peur, ni menace — quelque chose de plus profond. Elle était enceinte. Près de la mort, mais porteuse de vie.

Sans comprendre pourquoi, Andrei repartit ce jour-là sans tirer. Mais dès le lendemain, il revint avec un morceau de viande. Il le jeta près du refuge de la louve, puis repartit sans dire un mot. Le jour suivant, il fit la même chose. Ainsi débuta un pacte silencieux.

L’hiver fut rude. Le froid devint mordant, la neige plus dense, les proies plus rares. Mais chaque jour, Andrei apportait de quoi nourrir la louve. Il ne l’approchait jamais, se contentait de l’observer de loin, veillant à ce qu’elle mange. Il n’en parla à personne. La forêt seule fut témoin de son geste.

Fin février, la louve disparut. Aucune trace, aucune piste. Le printemps revint, la vie reprit dans les branches, les chants d’oiseaux emplirent à nouveau les matins. Le souvenir de la louve s’éloigna, comme un rêve qui s’efface doucement.

Un an plus tard, par une matinée brumeuse, un bruit étrange résonna dans la forêt.

Un grondement sourd, suivi de craquements de branches. Son chien, habituellement téméraire, se mit à gémir et se colla contre sa jambe. Andrei avança prudemment. Les arbres semblaient retenir leur souffle.

Et soudain, il les vit.

Six loups. Puissants, élancés, les yeux d’or fixant calmement le chasseur. Ils formaient un demi-cercle. Au centre se tenait une louve au regard familier, marquée d’une fine cicatrice près de l’œil gauche. C’était elle.

Avant qu’Andrei n’ait pu bouger, les loups s’écartèrent. Derrière eux surgit un petit louveteau, curieux et maladroit, les yeux exactement comme ceux de sa mère. La louve émit un léger grognement. Le petit s’approcha du chasseur et s’assit devant lui.

Le cœur d’Andrei battait à tout rompre. Il ne bougea pas. Le petit le renifla, puis repartit vers le groupe. La louve le suivit des yeux, puis inclina légèrement la tête vers Andrei. Un simple geste, mais lourd de sens.

Les loups tournèrent les talons et s’enfoncèrent dans la brume sans un bruit.

Longtemps, Andrei resta immobile. Ce jour-là, il comprit qu’il n’était plus un simple visiteur dans la forêt. Il avait sauvé une vie, sans rien attendre en retour. Et cette vie, plus forte, revenue en meute, était venue non pas pour rembourser une dette, mais pour témoigner.

Dès lors, lorsqu’Andrei se promenait dans les bois, il remarquait des signes. Un chemin dégagé. Des mouvements rapides qui semblaient l’éloigner du danger. Des grognements au loin, comme des avertissements. Les loups veillaient. Pas comme des gardiens, peut-être, mais comme des frères sauvages.

Parfois, au village, on parlait de loups étranges, trop proches des hommes mais jamais agressifs. Andrei souriait. Il ne disait rien. Non par secret, mais par respect. Certaines histoires ne sont pas faites pour être racontées. Certaines histoires n’appartiennent qu’à la forêt.

Et ainsi, saison après saison, il continua de marcher dans les bois. Jamais plus seul.

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