— Comme d’habitude, quarante kilos de bœuf, murmura-t-elle d’une voix douce, en tendant des billets soigneusement pliés.
Le jeune boucher restait chaque fois stupéfait. Quarante kilos ! C’est presque une demi-bête ! Au début, il pensa qu’elle nourrissait une grande famille. Mais les semaines passaient, et rien ne changeait.
La vieille femme ne parlait presque jamais, ne croisait pas son regard. Elle prenait ses sacs et s’en allait lentement. Derrière elle flottait une odeur étrange — un mélange de fer, de viande et de quelque chose d’indéfinissable.
Les rumeurs commencèrent à courir au marché :
— Elle nourrit peut-être un chenil.
— Ou une communauté de sans-abris.
— Certains disent qu’elle a un restaurant clandestin…
Le boucher n’y croyait pas, mais sa curiosité le rongeait. Un soir, il décida de la suivre discrètement.
Elle marcha longtemps, à pas lents mais assurés. Son chariot grinçait sur la neige. Puis elle quitta la ville et se dirigea vers l’ancienne usine désaffectée, abandonnée depuis plus de dix ans.
Elle entra. Et disparut.

Vingt minutes plus tard, elle ressortit — sans les sacs.
Le lendemain, elle revint. Puis encore.
Au troisième jour, le boucher ne put résister. Il la suivit à l’intérieur.
L’odeur le frappa aussitôt : un mélange de rouille, de sang séché et d’humidité. Des bruits sourds résonnaient dans l’obscurité. Il avança, le cœur battant, et jeta un coup d’œil dans la grande salle.
Ce qu’il vit lui glaça le sang.
Des cages. Des dizaines de cages rouillées alignées le long des murs. Et à l’intérieur… des gens. Des hommes et des femmes, maigres, sales, enchaînés. Leurs yeux creux le fixaient. Certains murmuraient, d’autres gémissaient faiblement.
Au centre, une table métallique, couverte de taches rouges. Au-dessus, pendaient des couteaux et des crochets.
Et là, près de la table, se tenait la vieille femme.
Elle découpait calmement de la viande fraîche, la rangeait dans des sacs et fredonnait une chanson d’enfant.
— C’est pour eux, dit-elle sans se retourner.
— Pour… qui ? demanda le boucher, tremblant.
Elle leva lentement les yeux. Ses pupilles brillaient d’un éclat glacial.
— Pour ceux qui sont restés sous la terre. Ils ont faim.
Un grondement monta alors du sol. Le béton vibra. On aurait dit qu’il y avait quelque chose, vivant, sous le plancher.
Le boucher fit demi-tour, mais la porte s’était refermée.
— Tu n’aurais pas dû voir ça, murmura-t-elle. Maintenant, ils te veulent.
Le lendemain, la police entra dans l’usine. À l’intérieur : rien. Pas de cages, pas de table, pas de femme. Seulement du sang séché et des empreintes de pieds nus menant vers un sous-sol effondré.
On découvrit plus tard que ce bâtiment abritait autrefois un laboratoire secret. Trente personnes y avaient disparu dans les années 1990. Jamais retrouvées.
Une semaine après, le jeune boucher fut retrouvé mort, effondré devant sa boutique. À côté de lui : quarante kilos de « bœuf ».
Mais les analyses révélèrent que ce n’était pas du bœuf.
Depuis, les habitants murmurent :
Si une vieille femme te demande quarante kilos de viande… ne pose pas de questions. Fuis.
Отправить ответ