Ce qu’ils virent en se penchant au-dessus du bord leur coupa littéralement le souffle.
Deux chasseurs expérimentés marchaient lentement à travers la forêt enneigée. Ils faisaient attention à chaque pas, pour ne pas faire craquer la neige. La journée avait été mauvaise — pas une trace, pas une proie. Fatigués, irrités, ils s’apprêtaient à rentrer quand une ombre rousse traversa soudain leur chemin.
— Une renarde ! cria l’un d’eux, levant son fusil.
Le coup de feu retentit, mais la balle siffla dans le vide. L’animal fila à toute allure entre les arbres, et les hommes, comme ensorcelés, se lancèrent à sa poursuite.
Ils suivirent ses traces pendant de longues minutes, jusqu’à ce que la forêt s’ouvre brusquement sur un vaste champ blanc, silencieux, sans fin.
Et là, au centre, béait un trou noir, profond, comme une blessure dans la terre.
La renarde s’arrêta au bord. Elle se retourna et les fixa. Ses yeux d’ambre semblaient attendre quelque chose… ou quelqu’un.
— C’est quoi, ça ? murmura le second chasseur.
Ils s’approchèrent. L’un d’eux se pencha prudemment et regarda en bas.
Il resta muet. Puis il recula d’un pas, tremblant.
— Seigneur… il y a… il y a des corps là-dedans.
Au fond de la fosse, des dizaines — non, des centaines — de renards gisaient, figés dans la glace. Leurs pelages roux et gris se mêlaient à la neige, leurs gueules ouvertes dans un cri silencieux. Certains encore entiers, d’autres déjà réduits à des os.
Une odeur âcre, glaciale, montait du trou. Le vent semblait gémir.
— Quel monstre a pu faire ça ? chuchota l’un.
L’autre ne répondit pas. Il fixait la renarde, toujours immobile au bord, la tête légèrement penchée.
Puis elle poussa un cri. Pas un cri animal — non.
Un son étrange, presque humain. Un hurlement de douleur, long, déchirant, qui fit vibrer l’air.
Le chasseur fit un pas en arrière. Mais la neige sous ses bottes se fissura.
Un frisson parcourut la terre, et un souffle glacé monta du fond de la fosse.

Quelque chose bougea là-dessous.
Les chasseurs restèrent pétrifiés. D’abord, ils crurent que c’était le vent… jusqu’à ce que les corps commencent à remuer.
Les renards morts levaient lentement la tête, un à un. Leurs yeux vides reflétaient la lueur blafarde de la lune.
— Ce n’est pas possible… — balbutia l’un d’eux.
Il tira, par pur réflexe. La détonation se perdit dans la nuit, et l’écho sembla venir du fond du trou.
La renarde ne bougeait pas. Elle fixait les hommes avec une expression presque humaine — mélange de tristesse et de vengeance. Puis, soudain, une voix monta du gouffre : un murmure, multiple, glacial, presque un chant.
— Pour nous tous…
Le vent se leva d’un coup. La neige se mit à tourner en spirale, aveuglante. Les chasseurs reculèrent, trébuchant, hurlant de panique.
L’un tomba. L’autre voulut l’aider — mais une patte glacée jaillit de la neige et agrippa sa cheville. Il cria, tira, en vain. Le sol s’ouvrit et l’engloutit.
Le champ se tut.
La renarde, toujours là, s’approcha du bord, regarda une dernière fois le vide — et sauta.
Quand le vent se calma, il ne restait plus rien.
Seulement une vaste plaine blanche et, au milieu, cette gueule noire.
Le lendemain, on retrouva des traces de pas menant jusqu’à la fosse… et s’arrêtant net. Pas de corps, pas de sang. Juste un petit toupet de poils roux, pris dans la glace.
Depuis ce jour, les habitants du village évitent cet endroit.
On dit que, certaines nuits d’hiver, on peut entendre un cri lointain — ni humain, ni animal.
Et si l’on tend bien l’oreille, parmi le hurlement du vent, on distingue parfois des mots, murmurés par des voix venues d’ailleurs :
« Pour nous tous… »
Et quand la neige fraîche se couvre de traces de pattes qui disparaissent soudain dans le néant… personne n’ose les suivre.
Parce que ceux qui ont essayé… ne sont jamais revenus.
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