
Elle était haletante, couverte de poussière et de boue, mais dans ses yeux brillait quelque chose d’humain : une douleur pure, silencieuse, déchirante.
Les gens s’arrêtèrent, pétrifiés. La jument s’avançait lentement, un pas après l’autre, jusqu’à ce qu’elle se tienne juste devant le cercueil. Puis, sans un son, elle abaissa la tête et effleura le bois du museau, comme pour réveiller celui qui dormait à l’intérieur. Un souffle s’échappa de ses narines, long et tremblant. À ce moment précis, le silence devint total : on n’entendait plus ni vent, ni voix, ni pas.
Puis elle hennit doucement. Ce n’était pas un cri d’animal, mais une plainte, un appel du cœur. Ce son fit frissonner l’assistance. Les femmes pleuraient, les hommes détournaient les yeux, bouleversés. Chacun sentait qu’il assistait à quelque chose d’inexplicable — une adieu d’âme à âme.
On raconta plus tard que la jument s’était échappée de l’écurie le jour même de la mort de son maître. Pendant deux jours, nul ne sut où elle était passée. Et la voilà maintenant, revenue au moment exact où on s’apprêtait à l’enterrer.
Lorsque la voiture funéraire démarra, la jument s’avança et se plaça juste devant. Personne n’osa la chasser. Elle plia lentement les genoux — oui, elle s’agenouilla devant le cercueil — et resta ainsi, immobile, la tête baissée. On entendit des sanglots dans la foule.
— Mon Dieu, murmura une vieille femme, elle se prosterne devant lui…
Le véhicule s’éloigna. La jument se releva et suivit lentement, pas à pas, jusqu’au tournant du chemin. Là, elle s’arrêta, observa longuement la voiture disparaître, puis fit demi-tour, le regard vide.

Les jours passèrent. On la vit plusieurs fois revenir devant la maison du défunt. Elle attendait. Elle hennissait doucement, refusait de manger, refusait de boire. Puis un matin, on la retrouva couchée dans un champ, paisible, les yeux clos. Elle était morte là où elle l’avait vu partir.
Depuis, les habitants du village racontent qu’à chaque anniversaire de la mort du maître, une silhouette blanche apparaît dans la brume au lever du jour. Certains disent avoir entendu un hennissement lointain, d’autres jurent avoir vu la jument s’approcher du cimetière, s’incliner devant la tombe, puis disparaître dans la lumière.
Les anciens allument des bougies devant la maison vide et murmurent :
— Voilà ce que c’est, l’amour véritable. Celui qui ne meurt jamais.
Leur histoire est devenue une légende. Les enfants l’apprennent comme une fable, les voyageurs viennent la raconter au coin du feu. On dit que le maître répétait souvent à sa jument :
— Toi et moi, nous ne faisons qu’un cœur.
Et personne ne doute plus de ses paroles.
Car il y a des liens que ni la mort, ni le temps, ni l’oubli ne peuvent rompre.
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