
Il avait toujours vécu discrètement, sans attirer l’attention. Pour les voisins, il n’était qu’un vieil homme aimable avec une canne, qui aimait nourrir les pigeons et rester assis des heures sur un banc du parc. Mais au fond de lui, il portait une douleur ancienne, jamais éteinte — vieille, mais aussi vive que le premier jour. Son nom, il ne l’avait pas prononcé depuis des décennies, et sa photo restait cachée dans un vieux portefeuille en cuir, comme s’il craignait que des yeux étrangers puissent souiller ce souvenir.
Il avait vingt-sept ans lorsqu’ils se rencontrèrent. Jeune, sûr de lui, avec un sourire audacieux, il croyait que tout pouvait être réparé dans la vie. Elle, c’était la lumière — intelligente, vive, avec des yeux où se reflétait le ciel. Leur amour avait été soudain et dévorant, mais le monde s’était révélé plus cruel qu’ils ne l’imaginaient. Des mots irréfléchis, une fierté blessée, une lettre arrivée trop tard — et elle était partie. Loin, ne laissant derrière elle que quelques lignes d’adieu.
Il s’était marié, avait élevé des enfants, travaillé, ri parmi ses amis — mais chaque soir, lorsqu’il se retrouvait seul, il replongeait dans ces souvenirs. Personne ne savait que, toutes ces années, il avait suivi de loin les traces de sa vie, recueillant des bribes de nouvelles comme des reliques précieuses.
Puis, un soir d’automne, un e-mail arriva. Signé d’un jeune homme qu’il ne connaissait pas. Il se présenta comme étant son fils. Le message était simple : « Ma mère se souvient de vous. Elle parle souvent de vous. » L’adresse et un numéro de téléphone étaient joints.
Cette nuit-là, il ne dormit pas. Ses pensées tournaient en boucle, et son cœur battait comme il ne l’avait pas fait depuis longtemps. Au matin, il prit sa décision. Il vendrait tout ce qu’il pouvait — sa vieille voiture, le fauteuil dans lequel il avait passé la moitié de sa vie, sa collection de disques, même la montre offerte par ses collègues à sa retraite.
Une semaine plus tard, il tenait en main un billet. Aller simple. Il savait qu’il ne reviendrait pas.
Le jour du départ, il enfila son plus beau costume. Dans sa poche, la photo — celle de leur jeunesse, fanée, avec un coin déchiré. Sur cette image, elle riait dans le vent, les yeux plissés par le soleil.

Lorsque l’avion décolla, il regardait par le hublot, imaginant le moment où la porte s’ouvrirait et où elle viendrait vers lui. Il avait même préparé ses premières paroles.
Puis, dans sa poche, le téléphone vibra. Un message. Un seul regard à l’écran — et le monde s’écroula.
Le texte était court :
« Ne venez pas. Maman est morte hier. »
Il relut ces mots encore et encore, comme s’ils pouvaient changer. Mais ils restaient là — noirs, froids, définitifs.
Dehors, les nuages défilaient, mais il ne les voyait plus. Dans ses mains, il serrait encore la photo, sur laquelle tombait une larme. Il savait qu’il volait vers le vide. Tout ce pour quoi il avait vécu et espéré venait de disparaître en une seconde.
L’avion poursuivait sa route, mais en lui il n’y avait plus que le silence — ce silence où l’espoir n’existe plus.
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