Un geste si banal, si quotidien, presque machinal. Le soleil déclinait doucement derrière les arbres, et la lumière se déposait sur ses poils dorés comme un halo. Elle s’est élancée, la queue battant l’air, le regard vif, le souffle court. Elle vivait chaque instant comme si c’était le premier. Comme si la vie n’était qu’un jeu infini de courses et de rires.
Mais cette fois, Luna n’est pas revenue.
J’ai d’abord cru qu’elle s’était attardée, qu’elle avait trouvé quelque chose à flairer, à explorer, comme elle le faisait toujours. Mais le silence s’est étiré. Puis il a commencé à peser.
J’ai appelé son nom. Une fois. Deux fois. Dix fois. Rien. Pas un aboiement, pas un bruissement. Seulement le vent, qui semblait soudain glacé.
Quand je l’ai retrouvée, quelques minutes plus tard, le monde s’est arrêté. Elle était là, immobile, les yeux mi-clos, comme endormie. Son cœur avait simplement… cessé. En un souffle, en un battement, tout s’est éteint.
Je ne me souviens plus si j’ai crié. Je crois que oui. Ou peut-être que c’était seulement mon âme qui hurlait. J’ai senti mes genoux céder, mes mains trembler. Le bâton est tombé à mes pieds. Celui qu’elle aimait tant, celui qu’elle ramenait avec fierté, la tête haute, les yeux brillants. Ce petit morceau de bois était soudain devenu un symbole atroce : le dernier témoin de notre bonheur.
Luna n’était pas qu’un chien. Elle était mon souffle dans les jours lourds, ma lumière dans les nuits sombres. Elle savait quand j’allais mal. Sans un mot, sans un geste, elle venait poser sa tête sur mes genoux, comme pour dire : « Je suis là. Respire. »
Combien de fois ai-je parlé dans le vide, et c’est elle qui m’a écouté ? Combien de fois ai-je ri seul, et c’est elle qui a compris pourquoi ?
Les gens disent souvent que les chiens ne parlent pas. Mais Luna, elle, savait tout dire — avec un regard, un silence, une présence.

Aujourd’hui, la laisse pend au mur, froide, inutile. Son collier repose sur la table, et chaque tintement de métal me transperce comme une lame. La maison semble plus grande, plus vide, plus étrangère. J’ai gardé son panier, son jouet préféré, cette couverture qu’elle traînait partout. Parfois, j’ai l’impression de l’entendre encore : ses pas légers dans le couloir, le frottement de ses griffes sur le parquet, ce petit soupir qu’elle poussait avant de s’endormir.
Mais il n’y a rien. Seulement le vide. Le silence. Et cette douleur, sourde, constante, qui ne partira jamais vraiment.
Les jours passent, mais je ne m’y habitue pas. On ne s’habitue pas à l’absence d’un être qui vous aimait sans condition. On apprend à vivre avec une ombre, une mémoire, un fantôme tendre.
Je vais parfois au même parc. Par habitude, par folie peut-être. Je m’assois sur le banc, là où elle venait poser sa tête sur mes genoux. Et sans m’en rendre compte, ma main caresse encore l’air, comme si elle était là.
Je sais que les passants me trouvent étrange. Mais je m’en moque. Parce qu’à cet instant, je la sens. Je sens sa chaleur, son odeur, sa présence. Luna n’est peut-être plus ici, mais elle n’est pas partie loin. Elle court quelque part, libre, dans un champ sans fin, là où le temps n’existe plus.
On dit que les animaux n’ont pas d’âme. Que leur amour est instinct, réflexe, besoin.
Mais ceux qui disent cela n’ont jamais regardé un chien mourir avec le regard doux, apaisé, confiant — comme si, même dans la mort, il vous disait : « Ne pleure pas, je suis en paix. »
Luna m’a appris ce qu’est l’amour pur. Celui qui ne juge pas, qui ne réclame rien, qui ne s’éteint jamais.
Aujourd’hui, j’écris pour elle. Pour que son nom vive encore, quelque part entre ces lignes. Pour que chaque mot soit un morceau d’elle, une trace, une étincelle.
Parce qu’un jour, quand la douleur aura cessé de brûler, il restera la gratitude.
Gratitude d’avoir eu la chance de croiser son regard, de partager sa vie, d’être aimé de cette manière si simple et si absolue.
Alors je lui dis une dernière fois :
Dors bien, Luna.
Tu as été mon miracle silencieux, ma lumière fidèle dans les tempêtes.
Et même si le monde a continué de tourner sans toi, sache que chaque battement de mon cœur porte encore ton nom.
Tu étais, tu es, et tu seras toujours mon trésor.
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